Janvier 2000 : l'annonce
Mardi
4 janvier 2000, Renault a annoncé avoir engager des négociations
avec le groupe Samsung pour la reprise de Samsung motors, la filiale
automobile du premier conglomérat coréen en terme de chiffre
d'affaires.
Quelques mois seulement après l'alliance capitalistique avec
Nissan, c'est une nouvelle hardiesse pour Renault qui ne nous avait
pas habitués au grand jeu du capitalisme mondial.
Samsung motors ou "back to reality"
Fondé en 1995, Samsung est le dernier venu sur le déjà
très encombré marché coréen. Outre Hyundai
et Kia, Daewoo et Ssangyong se partagent un marché en forte croissance
d'un million de véhicules en 1997.
Affaire de fierté avant toute chose, cette aventure a débuté
au moment le moins propice pour la Corée. Les premières
SM5, grosses berlines luxueuses à base de plate-forme Nissan,
sont pour la première fois sorties des chaînes de montage
fin 1997, soit au tout début de la crise. Le résultat
ne se fait pas attendre. 55 000 unités vendues en 1998 seulement
pour une capacité annuelle de production de 250 000 voitures,
cela pourrait être un bon score en temps de crise.
Mais
deux bémols viennent ternir le tableau : la plupart de ces berlines
sont des achats de cadres et de sociétés apparentés
à Samsung. Autant dire que le marché n'est pas éternel
et qu'il faudra savoir séduire les clients et ne pas compter
uniquement sur le nationalisme qui habite tous les employés d'un
chaebol. D'autre part la production en 1999 s'est effondré, les
incertitudes pesant sur l'avenir de la société, la fermeture
de l'usine pendant de longs mois et la mise en réglement judiciaire
dès juin n'ont pas permis, loin s'en faut, d'attendre les objectifs.
Après l'échec du "big deal" en juin - échange
de daewoo electronics contre samsung motors entre les deux groupes -
le groupe samsung n'avait guère de ressource devant ce problème.
Il aurait perdu un investissement initial d'un milliard d'euros et épongé
trois milliards d'euros de dettes. Lee Kun-Hee avait d'ailleurs dès
l'été dernier garantit les dettes de la filiale motors
par des actions de la très profitable filiale Samsung Life Insurance.
Renault : la solution pour les créanciers
Un
rachat par Renault permettrait à Samsung de solder une aventure
fort coûteuse. Reste la question du montant et de la nature de
la cession.
Renault a clairement fait savoir qu'il ne comptait reprendre que les
actifs du groupe : soit la seule usine de la société à
Pusan, moderne et construite avec l'aide de Nissan, le partenaire japonais
de Renault. En aucun cas, Renault ne veut subir le passif de Samsung
motors. On s'achemine logiquement vers un transfert d'actifs vers une
nouvelle société.
Depuis deux ans, les Coréens sont passés maîtres
dans la négociation de leurs cessions d'actifs. Le flou traditionnel
qui entoure la comptabilité coréenne, loin des normes
internationales, et la difficulté d'obtenir des informations
en ont rebutté plus d'un. Citons en premier lieu à HSBC
qui a renoncé, après des négociations marathon,
à prendre en charge la Seoul Bank, l'un des deux banques nationalisées
fin 1997. Les négociateurs de Renault vont devoir s'armer de
patience, qualité fort prisée des Coréens qui ne
conçoivent le business que dans le long terme.
Les deux, trois mois de pourparlers risquent de se prolonger, à
n'en pas douter même si Louis Schweitzer a pris la sage décision
de nommer Paribas et KPMG pour évaluer la cible. Ceux-ci ont
remis leur estimation qui chiffre Samsung Motors à 890 millions
de dollars. C'est sur cette base qu'il faudra négocier avec des
Coréens décidés à laisser le moins de plumes
possible dans l'affaire.
Les
ambitions de Renault pour Samsung sont de plusieurs ordres.
Tout d'abord développer la part de marché du petit poucet
coréen pour atteindre 10 à 15% du total des ventes.
Faire de la Corée une base arrière pour la conquête
de la Chine.
Introduire ses propres modèles en Corée. (je n'ai vu
qu'une seule Renault pendant mon séjour à Séoul,
c'était à l'ambassade de France !).
Avant d'atteindre ces objectifs, il faudra faire adhérer les
employés de Samsung. Pour cela Renault compte non seulement sur
le maintien de la marque Samsung pour les voitures ce qui est essentiel
en raison du nationalisme viscéral du consommateur coréen,
mais aussi sur la participation à hauteur de 20% du groupe dans
le constructeur refondé.
Pour sauver la face, Samsung ne doit pas être "absorbée"
mais "associée"... comme Nissan.
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Deux mois quasiment jour pour jour après avoir annoncé
officiellement le début de négociation avec Samsung, Renault
a diffusé un communiqué détaillant son projet pour
Samsung.
La firme au losange propose au groupe coréen l'établissement
d'une joint-venture dont le capitale serait détenu à hauteur
de 70% par Renault. Le groupe Samsung s'engagerait par ailleurs à
conserver une participation minoritaire.
Renault propose que la nouvelle société rachète
les actifs de Samsung motors pour 450 millions de dollars, soit deux
fois moins que le chiffre avancé par KPMG et Paribas il y a un
mois. 50 millions de dollars serait avancé en cash.
Comme prévu, la marque Samsung serait conservé ainsi
que l'unique modèle, la SM5. Le communiqué de Renault
prévoit également la commercialisation de véhicules
Nissan et Renault à travers le réseau samsung en Corée
et ceci afin d'atteindre rapidement 15% du marché.
Dans
ce contexte, le bureau d'étude R&D de Kiheung se verrait
confier la tâche d'adapter les modèles franco-nippons au
marché coréen. Assembleurs de voitures étrangères
sous une marque coréenne, voilà bien ce que craignaient
les coréens. Le fait que Renault le précise dans son communiqué
laisse à penser que l'autonomie de Samsung motors ne sera pas
de mise.
Reste à savoir comment s'inscrit le positionnement de la marque
Samsung dans la stratégie mondiale du groupe Renault Nissan.
Rien ne laisse présager à l'heure actuelle que le groupe
coréen sorte de la péninsule.
La réponse des créanciers 07.03.2000
La Hanvit banque, première banque coréenne et gros prêteur
de Samsung motors s'est prononcé contre la proposition de Renault.
Elle a valorisé le constructeur automobile à 1 milliard
de dollars soit deux fois plus que l'offre de Renault.
Cette réaction prévisible semble présager d'âpres
discussions entre les partenaires, les Coréens sont désormais
rompus à cette sorte de marchandage depuis deux ans et il n'est
pas assuré que le projet de Renault n'aboutisse pas comme bien
d'autres en Corée.
Une semaine après le refus essuyé par Renault, les négociations
ont repris entre les deux parties.
La fin du premier deadline (mars 2000)
Après de nouvelles négociations à Paris à
la mi-mars, les créanciers de Samsung ont accepté de baisser
leurs prétentions à environ 600 millions de dollars dont
la moitié payée à la conclusion de l'accord.
On avait appris entre-temps que Renault ne prévoyait de régler
les 400 m de dollars sur les 450 proposés le 6 mars que sur une
période de 15 à 20 ans et uniquement sur les bénéfices
dégagés par sa participation dans Samsung motors.
Les créanciers coréens tentent de faire pression sur
Renault en évoquant la possibilité d'un accord avec Hyundai
motors à l'issue de la période de négociations
exclusives le 31/03/2000.
Ce dernier n'a pas confirmé et l'on voit mal l'intérêt
qu'il aurait à reprendre Samsung motors qui ne lui apporterait
aucune part de marché, même de niche.
La fin du deadline
En
date du 31/03, fin de la période exclusive de négociation,
la situation était la suivante : Renault selon certaines sources
aurait proposé 550m$ soit quasiment autant que ce qu'en demande
les créanciers. Les négociateurs se retrouvaient une nouvelle
fois à Séoul pour un troisième round. De plus Renault
a reçu le soutien des sous-traitants de Samsung motors ce qui
accrédite l'idée que la firme au losange constitue l'unique
chance pour le coréen de survivre, contrairement aux menaces
des banques créancières.
C'est reparti !
Renault n'en démords pas : la période de négociation
exclusive est prolongée jusq'au 29 avril.
La principale difficulté reste la découverte récente
de 270 millions de dettes de Samsung motors envers sa maison mère
qui n'avait pas été dévoilé par les créanciers,
tout autant que le prix de cession.

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Le suivi (au 18/06/2000)

Un mois et demi après la signature de l'accord, faisons un petit
point sur la nouvelle entité Renault Samsung motors.
Jérôme Stoll, ESCP, anciennement directeur des achats mécaniques
de Renault, a été nommmé à la tête
de Renault Samsung motors. Il a accueilli tout récemment le PDG
du groupe Renault Louis Schweitzer en Corée.
Celui-ci a indiqué que Renault comptait investir 400 millions
de dollars en quatre ans, qu'un second véhicule serait ajouté
à la gamme du constructeur coréen et que la nouveau Samsung
s'appuierait sur le même tissu de sous-traitants qu'initialement.
Le
suivi (au 13/09/2000)
Selon le Korea Economic Weekly, la Housing & commercial Bank refuserait
le plan d'échange d'actions contre dettes de Samsung motors.
Ce différend entre le débiteur et créditeur coréens
porte sur quelques 30 millions de dollars. La firme au losange a regretté
ce revirement de dernière minute et a menacé d'annuler
son acquisition.
Nouvelles (23/10/2000)
Jérôme Stoll a annoncé le lancement d'un nouveau
modèle en 2002. Voiture d'entrée de gamme sur la base
d'un modèle Renault ou Nissan, ce véhicule serait commercialisé
sous la marque Samsung en Corée.
Le PdG de Renault Samsung motors a réaffirmé la priorité
de l'entreprise : le retour aux bénéfices et non pas la
croissance du chiffre d'affaires à tout prix.
Par ailleurs, Renault aurait renoncé à reprendre les
activités poids lourds de Samsung.
Nouvelles (30/12/2000)
D'après le Korea Herald la production dans l'usine de Pusan
serait retombée à 3 500 unités en novembre suite
à la baisse du marché coréen. Le mois de septembre
avait vu redémarrer l'activité avec une production similaire,
le mois d'octobre avait confirmé le redressement.
Par ailleurs, M. Schweitzer, Pdg de Renault, a annoncé dans
La Tribune le lancement prochain d'une SM3, dérivée d'une
plateforme Nissan pour compléter la gamme de Samsung.
Nouvelles (12/10/2001)
 
RSM est en passe de réussir son pari. Les ventes de SM5 ont dépassé
les 8000 au mois de septembre (notamment en raison d'une série
limitée fêtant la première année d'activité
de la nouvelle société RSM). L'objectif fixé pour
l'année 2001 devrait être atteint, le réseau redémarre
comme le prouve cette photographie prise lors de mon voyage en Asie
cet été.
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